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A chaque matinée, ses premières images… chargées, douces ou violentes. Nous sommes dans une école primaire tenue par une soeur catholique. Les enfants sont alignés au cordeau, les mains jointes, ils prient en répétant les mots crachés par une sono saturée. Nous apprenons à prendre nos distances avec ces clichés, ne pas juger tout de suite… On apprend à relativiser, à mettre de côté nos partis pris… Face à tant de misère et à tant de travail restant à accomplir dans ce pays, on se dit que toutes les actions sont bonnes à prendre. Ne cataloguer pas les gens en fonction de leur appartenance, croyance, conviction mais plutôt les évaluer sur leurs actes. Belle leçon pour nous petits français épris de politique. C’est la force de l’association Clowns Sans Frontières qui revendiquent haut et fort sa volonté d’être indépendante de toute organisation politique ou religieuse. L’autre jour, j’en parlais avec l’un des moines qui nous accueillait dans l’hôpital des enfants séropositifs. Il me demande si nous sommes liés à une organisation chrétienne… Je lui répond ” nous ne sommes liés à rien et c’est ça qui nous permet d’aller jouer partout”… Il sourit, pas de réponse…
Après le spectacle, nous échangeons avec la directrice “soeur Jessie”, elle nous parle des enfants, 60 sont morts pendant le tsunami, beaucoup sont traumatisés par le perte d’un proche… Elle nous parle de sa lutte contre l’absentéisme, pour l’éducation à une hygiène collective et personnelle… 90 % de ces enfants sont issus de familles de pêcheurs, beaucoup sont livrés à eux-mêmes, le père part en mer toute la nuit et la mère vends le poisson… Visiblement, ici, on s’occupe bien d’eux… Elle nous remercie chaleureusement en expliquant sa joie de voir les enfants rire à nouveau… Quel bonheur pour nous ces quelques mots qui donnent du sens, qui nous confortent sur notre rôle… Elle nous félicite de donner autant, nous lui expliquons que nous recevons aussi beaucoup en retour…
L’après-midi, nous jouons dans une autre école fondée par “Hope”. Ce n’était pas prévu… annulation et remplacement de dernière minute…mais comme vous le lirez dans le texte d’Alain ci-dessous, ici, il faut savoir d’adapter… A l’entrée de l’école, un panneau avec une jolie phrase attire mon attention ” Les enfants sont comme du ciment mouillé, toue ce qui tombe dessus laisse une trace” … Y’a pas de doutes, les clowns c’est du béton !
Vincent
Les mystérieux mystères de l’Inde mystérieuse
Si cette mission en Inde m’apprends quelque chose, c’est bien l’adaptation au changement. Rien, rien ne marche comme prévu mais tout se transforme et finit par faire un joli bouquet. LE truc, c’est de rester zen et, comme les indiens d’accepter que l’électricité soit coupée une fois sur deux, qu’un camion vienne se poser à côté du spectacle moteur en marche, que la place prévue soit envahie de branchages et de linge, que des travaux soient en cours sur le lieu du spectacle, que les clefs du temple où l’on doit jouer soient parties à la pêche avec leur propriétaire, que les tentes qui protègent le jeune public du soleil soient louées sans cordes pour les arrimer, que les vaches, les chèvres, les poules et les gamins envahissent l’endroit où nous nous installons, que le chauffeur de notre van décide de siroter un thé quand nous sommes tous dans ce qui ressemble plus à une étuve qu’à un car, qu’il y ait des funérailles puis un mariage puis des funérailles à nouveau tout ça avec force tranquille et tambour au lieu et moment du spectacle, que, que, que…. Mais tout ça se fait dans le rire, la gentillesse, le souci de nous accueillir le mieux possible même si les accords passés deux mois plus tôt ont été parfaitement oubliés…
Et dans cette folie, ce tourbillon de gens, des îlots de douceur dans le regard d’un vieillard étonné comme un enfant, dans le sourire édenté d’une femme mâcheuse de bétel, dans la courtoisie du chef de village qui nous offre impérativement un coca chaud. Après avoir nettoyé la place sous le regard amusé des villageois, je suis allé quelques instants flâner dans un village de pêcheurs à la tombée de la nuit. J’y ai rencontré une paix rare, bienfaisante, j’y ai senti un équilibre de vie où tout semble, malgré la grande misère financière, respirer la tranquillité et la sérénité. Je ne peux m’empêcher de penser qu’après le tsunami de 2005 qui a fait tant de bruit médiatique, d’autres tsunami leur arrivent plus sournois mais tout aussi ravageurs. Ils ont pour nom la corruption, la répartition totalement inégale de dons humanitaires et le libéralisme.
Nous avons joué dans un tout petit village de pêcheurs reconstruit après le tsunami et on a senti combien les gens étaient heureux que nous venions spécialement pour eux, dans leur village. En échange, des fillettes ont dansé pour nous sur un tube du moment avec une grâce, une légèreté, une pureté rares. Ces moments d’échanges artistiques nous bouleversent par la simplicité des moyens et beauté parfaite de la réalisation.
Jean Sérien alias Alain
L’hymne à la joie de Gabi
Ce matin nous jouons dans une école catholique à l’intérieur d’une ex-enclave-forteresse danoise… ( et de fait très chrétienne et à majorité protestante ). L’école et les classes sont très belles, très propres, finement décorées, fraîchement repeintes de couleurs vives. On arrive avec notre gros bus dans la petite cour et on repère… Des centaines de petites paires d’yeux s’arrondissent… on se rapproche… et dès qu’un téméraire s’avance un peu plus en tendant la main, on serre une main, puis deux, puis trois, puis douze… et une avalanche de mains toute reliées à un gigantesque sourire qui illumine un petit visage aux yeux pleins d’étoiles, parfois baissés, parfois étranglant un petit gloussement… et c’est l’hymne à la joie du grand Ludwig qui sonne dans les coeurs … Quel accueil ! Quels sourires ! Et ce rituel est systématique… pour avoir voyagé avec Clowns Sans Frontières dans pas mal de pays (Afghanistan, Palestine, Roumanie, Cambodge…), je suis émerveillé ici de cette spontanéité, de cette ouverture, de cette confiance, de cette joie partageuse, de cet enthousiasme… ( Je mets plein de mots pour faire une espèce de bouquet qui ressemblerait à mon impression…) en tous cas un grand bonheur !
Bon reprenons le cours de la narration sinon on va dire que je fais des digressions et puis … les 750 gamins sont bien alignés pour le rituel de la “prière” qui commence la journée dans chaque école. Ici : prière - lecture de la bible - discipline - lecture d’une histoire par une gamine - hymne national… La cérémonie est un peu longue, les enfants patients et disciplinés. je repère une petite fille, les yeux fermés, très pénétrée, imperturbable, répétant tous les mots avec ferveur et conviction quand d’autres ânonnent avec enthousiasme, sa paisible sincérité me touche… puis ils se tournent vers le rideau et s’assoient : ils sont prêts ! Bigre ! Pas nous ! On avait cessé les préparatifs pour devenir d’attentifs spectateurs… alors on s’active, on est vite prêts.
Le spectacle se passe bien, quelques petits mouvements de foule car certains sont très loin, l’espace étant très en longueur pour que les enfants soient à l’ombre, donc ils se rapprochent… A la fin la religieuse directrice nous remercie copieusement en expliquant à plusieurs reprises que tous ces enfants ont été victimes du tsunami, traumatisés, ayant perdu un frère, une soeur ou un parent… et elle a l’air sincèrement heureuse de les voir se marrer et nous invite à un traditionnel tchaï - petits gâteaux…
Gabi
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